Stratégie foncière wallonne : NTF alerte sur une dérive interventionniste contraire à la Déclaration de Politique Régionale

Dernière mise à jour le 15 Dec. 2025

Ballots ronds par G de Munck

NTF a pris connaissance de la stratégie foncière de la Ministre Dalcq. Bien des préoccupations reprises sont surprenantes, en particulier au regard de la Déclaration de Politique Régionale (DPR) 2024–2029 qui avait fixé un cadre clair que l’on peut résumer en trois intentions majeures : accompagner et faciliter l’installation des jeunes, améliorer la connaissance, la transparence du marché foncier et moderniser les outils existants notamment en réévaluant la législation du bail à ferme pour la rendre plus attractive par des mesures incitatives.

L’esprit général de la DPR repose sur un principe simple : la Wallonie devait agir comme un État facilitateur, capable de soutenir les différents acteurs économiques et en ce compris le secteur agricole dans la cadre législatif qui est le nôtre et le respect des libertés et des droits essentiels dont font partie la liberté contractuelle et le droit de propriété.

La note de stratégie foncière publiée en novembre par la ministre de l’Agriculture opère une rupture profonde avec l’équilibre traditionnel du droit foncier rural. Elle ne considère plus la terre agricole principalement comme un outil économique mis au service de l’exploitation et de la production nourricière, mais la requalifie comme un bien commun stratégique. Sur cette base, le document propose un pilotage public renforcé du foncier, une régulation en amont des transactions immobilières et une possible intervention directe de la Région dans la gestion, l’allocation et la redistribution des terres agricoles.

Cette évolution dépasse largement les engagements formulés dans la DPR. Elle introduit un changement de paradigme qui transformera durablement la relation entre les propriétaires, les agriculteurs et l’État.

 

1. Une rupture politique majeure avec la DPR

La DPR évoquait une lutte ciblée contre la spéculation[1] et une meilleure orientation des outils existants. La note ministérielle va beaucoup plus loin, en suggérant un contrôle systématique et préalable des transactions foncières, y compris dans les cessions de parts sociales. Cette démarche s’apparente à un dispositif de type SAFER[2], qui n’a jamais été envisagé dans la DPR.

Le bail à ferme, que la DPR envisageait d’évaluer et d’assortir de mesures incitatives destinées à encourager les parties à s’inscrire volontairement dans le cadre légal existant — ainsi qu’un effort de meilleure information des acteurs —, est potentiellement marqué par un changement radical d’approche dans la note de la Ministre.

Le bail à ferme devant faciliter l’accès au foncier, est soumis à une approche qui relève clairement du bâton et de la carotte.
D’un côté, elle prévoit un renforcement substantiel des contrôles : mise sous surveillance des mécanismes de contournement, création d’un groupe de travail prioritaire chargé de les identifier, recentralisation du bail classique comme cadre quasi obligatoire, et perspective d’un encadrement accru.
De l’autre, elle laisse entrevoir une fiscalité plus favorable pour les propriétaires bailleurs : réexamen des droits de succession, de l’impôt et des taxes foncières, ainsi qu’une remise à plat des fermages, qualifiés d’« enjeu structurant ».

Pour NTF, qui plaide pour davantage de souplesse, des règles réellement supplétives et une liberté contractuelle encadrée mais effective, cette stratégie telle qu’elle est décrite ne va pas résoudre les problèmes d’accès à la terre pour les jeunes agriculteurs. . Elle durcit les contraintes, intensifie les contrôles et ouvre la voie à une régulation lourde – à l’exception d’avantages fiscaux en période de restrictions budgétaires – là où la DPR parlait d’incitation, de pédagogie et d’amélioration progressive du cadre. En outre, dans une région qui manque cruellement de moyens, on est en droit de se demander comment fera la Région pour mettre le foncier sous tutelle efficacement.

Sur les terres publiques, l’ambition initiale de mieux organiser le droit de préférence se transforme en un véritable outil de redistribution foncière, dans lequel la Région jouerait un rôle quasi arbitral sur la manière dont les terres doivent être attribuées ou utilisées.

Enfin, la note fait de l’artificialisation, des énergies renouvelables et du carbon farming des phénomènes à contrôler de manière préventive, alors que la DPR prônait une approche plus pragmatique et équilibrée.

 

2. Les chiffres officiels ne justifient pas cette radicalisation

Les données de l’Observatoire du foncier agricole concernant l’année 2023 (DAFoR) montrent une réalité bien différente du récit sur lequel la stratégie foncière de la Ministre se fonde.
Entre 2017 et 2023, le prix des terres agricoles a effectivement augmenté, mais les acheteurs sont avant tout les agriculteurs eux-mêmes. Sur les 6 883 hectares vendus en 2023, la majorité a été acquise par des exploitants. Et, année après année, la part des terres détenues par les agriculteurs continue d’augmenter.

Ces chiffres montrent clairement que les agriculteurs ne sont pas en train de perdre leurs terres. Au contraire, ils renforcent leur présence. Rien ne permet d’affirmer qu’ils seraient menacés par une spéculation massive ou par une captation organisée par des acteurs extérieurs au secteur. On attend donc impatiemment le rapport 2024 de l’Observatoire pour approfondir le débat.

 

3. Un choix politique en filigrane : créer un marché réservé ou défendre un marché ouvert

La note ministérielle conduit de facto à un modèle dans lequel le foncier serait progressivement réservé aux seuls exploitants agricoles. Cette conception exclurait 99 % des Wallons (ceux qui ne sont pas agriculteurs) de la possibilité d'acquérir 44% du territoire régional, part correspondante aux zones agricoles. Si c’est un choix politique véritablement assumé par la Ministre, il doit être débattu ouvertement, car il n’a jamais été validé auparavant.

NTF défend une approche différente. Nous pensons que la Wallonie doit rester une région où la propriété privée est accessible à tous les citoyens quelle que soit leur profession, et où le bail à ferme constitue un outil moderne et équilibré, où chaque propriétaire – qu’il soit agriculteur ou non – contribue à la disponibilité des terres pour la production agricole.

Nous soutenons une vision basée sur la liberté, la responsabilité et l’ouverture du marché. Ce modèle fonctionne jusqu’à présent et doit être modernisé : les propriétaires non-exploitants mettent très largement leurs terres à disposition du secteur mais le cadre légal (bail à ferme) est à ce point rigide qu’il est nécessaire de le rendre attractif pour être pleinement soutenu par les propriétaires.

 

4. Recentrer le débat sur les véritables urgences agricoles

Nous ne pouvons pas détourner notre attention des enjeux essentiels.
Les priorités du secteur sont connues : le revenu des agriculteurs, la PAC, la stabilité réglementaire, la compétitivité, la transition climatique et énergétique, la simplification administrative. Ce ne sont pas des mécanismes de contrôle généralisé du foncier qui permettront de résoudre ces défis.

Nous appelons à une approche cohérente, fondée sur les données et conforme aux engagements de la DPR. Le foncier doit rester un levier au service de l’agriculture, et non un champ d’expérimentation administrative.

 

Conclusion

La note de la Ministre Dalcq marque une inflexion majeure du rôle de la Région dans la gestion du foncier agricole. Cette orientation n’est ni prévue par la DPR, ni justifiée par les données, et elle risque de rompre d’avantage l’équilibre entre les acteurs du secteur.

Nous défendons une stratégie foncière qui protège l’agriculture sans entraver les initiatives, qui permettent aux parties de s’entendre de manière équitable, qui soutient les exploitants sans exclure les autres citoyens, et qui renforce le bail à ferme en le rendant plus attractif pour restaurer la confiance et le partenariat entre propriétaires et preneurs.

L’agriculture wallonne n’a pas besoin de créer des clivages et d’exclure des acteurs : elle a besoin d’un cap clair et durable. Cette exigence est d’autant plus urgente qu’une étude récente de l’UCLouvain révèle que 77 % des agriculteurs et agricultrices francophones sont en détresse psychologique — un signal que la pression actuelle est insoutenable et qu’une nouvelle cohésion territoriale doit d’avantage être recherchée

Dans ce contexte, opposer propriétaires et agriculteurs serait non seulement inutile, mais dangereux. Ils sont interdépendants et peuvent stabiliser le marché foncier, notamment via la location, à condition que le bail à ferme devienne réellement attractif pour tous.

C’est ce que prône NTF : consolider le bail à ferme pour encourager les propriétaires à remettre plus de terres encore en location et offrir aux agriculteurs un cadre fiable, essentiel dans un secteur où ce mode de faire-valoir reste dominant.

Les réformes nécessaires doivent être constructives et ambitieuses. Elles doivent reconnaître que :
• propriétaires et agriculteurs sont des partenaires naturels ;
• la terre est un outil de travail, pas un terrain d’affrontement ;
• la sécurité juridique et économique est indispensable à toute transaction ;
• l’installation et la transmission doivent être facilitées, non bloquées.

La stratégie foncière représente une occasion unique de transformer une période de tension en dynamique positive, en rassemblant tous les acteurs — exploitants, propriétaires, familles, coopératives, entreprises agricoles — autour d’une vision commune : une agriculture rentable, performante, durable et humainement soutenable.

Le défi n’est pas de stigmatiser les uns ou les autres.
Le défi est de garantir que la terre wallonne reste productive, vivante et porteuse d’avenir — pour celles et ceux qui la cultivent comme pour l’ensemble de la société.

Pour NTF, il est encore temps de se ressaisir. La détermination de la Ministre doit désormais servir à apaiser les tensions et ouvrir une concertation formelle autour d’une stratégie foncière fidèle à la DPR : réformer, moderniser, simplifier. Et cela non sur base de croyances ou d’émotions exacerbées mais sur base de données objectivées et de solutions équilibrées.

NTF restera engagée pour défendre un modèle foncier ouvert, moderne et équitable, seule voie pour assurer la stabilité du secteur agricole et la cohésion territoriale dont la Wallonie a besoin.

 

Sébastien Cassart, Secrétaire Général NTF




[1] La DPR précise que le Gouvernement prendra des mesures, en ce compris fiscales, concernant le prix du foncier au bénéfice des agriculteurs actifs afin de lutter contre toute forme de spéculation. Le travail de l’observatoire du foncier sera maintenu voire amplifié si nécessaire afin d’avoir une vue globale du marché.

[2] SAFER : société d’aménagement foncier et d’établissement rural, un système français de contrôle du marché foncier agricole qui connait pas mal de dérives dans la pratique.