Moteur économique, oui… Comment ?

Dernière mise à jour le 7 Feb. 2017

Emmanuel Defays, Directeur général de l'OEWB

Résumé de l'intervention d'Emmanuel Defays – Directeur général de l'Office économique wallon du bois (OEWB)

 

Un tiers du territoire wallon, 180 000 propriétaires, 7 900 entreprises, 18 400 emplois, sans doute ces chiffres suffisent-ils pour comprendre que la filière bois wallonne est une puissance économique considérable. Mais pour considérable qu’elle soit déjà, cette puissance pourrait encore se renforcer à la faveur des éléments suivants :

  • Le développement de la sensibilité environnementale des citoyens.

C’est devenu un poncif : le bois surfe sur la vague verte. Sa présence donne au consommateur le sentiment qu’il reste connecté à son environnement naturel. Et depuis une quinzaine d’années, ce sentiment ne perd rien de sa vigueur.

  • L’émergence de l’économie circulaire.

La réduction des prélèvements et des rejets, les circuits courts, l’ancrage territorial : autant de facteurs qui conditionnent désormais l’évolution de nos modèles économique. La filière bois a des dispositions en la matière. Elle ne génère aucun déchet, elle contribue à la lutte contre le changement climatique, elle maintient des emplois et des savoir-faire locaux et valorise une ressource régionale. Elle devrait donc bénéficier de la volonté des pouvoirs publics d’encourager l’économie circulaire.

  • La menace d’épuisement des ressources.

C’est de cette menace que procède l’avènement de l’économie circulaire, bien sûr, mais indépendamment de l’intéressante proximité entre le fonctionnement de la filière bois et l’économie circulaire, il faut insister et réinsister sur une propriété que le bois ne partage avec aucun autre matériau : si la forêt subsiste, il est indéfiniment renouvelable. Dans une économie menacée par la finitude des ressources, cette propriété devrait suffire à conférer au bois un statut particulier.

 

Le développement de la filière bois est cependant un processus particulièrement vulnérable. Il dépend de la capacité de production de la forêt. C’est une lapalissade, sans doute, mais il semble nécessaire de la répéter : pas de filière bois sans bois. Or en Wallonie, dans une conjoncture qui paraît pourtant favorable, l’approvisionnement des entreprises transformatrices de bois pose problème. En cette matière, comme souvent dans la filière bois, il faut distinguer résineux et feuillus.

 

Les résineux représentent 79 % de la récolte annuelle de bois en Wallonie. Et la part qu’ils prennent dans la valeur ajoutée que génère la filière est encore plus importante puisque la majorité de nos feuillus sont exportés sans valorisation. Cependant, c’est un fait maintenant connu, le taux de prélèvement en résineux, soit le rapport entre la récolte et l’accroissement biologique, est de 130 %. En épicéa, c’est-à-dire sur 66 % des peuplements résineux, ce taux grimpe à 143 %, et à 160 % dans les pessières privées ! Cette surexploitation, très préoccupante en elle-même, est aggravée par un non-reboisement tout aussi préoccupant. Dans 25 % des cas, une mise à blanc de résineux n’est pas replantée en résineux. Et l’épicéa ne se succède à lui-même qu’une fois sur trois[1]. Selon des analyses et prospectives récemment établies par l’Accompagnement scientifique de l’Inventaire permanent des Ressources forestières de Wallonie (ULg - GxABT), la conjugaison de la surexploitation et du non reboisement entraîne la disparition de 6 à 7 ha d’épicéas chaque jour en Wallonie. Elle réduira en 20 ans la récolte annuelle d’épicéas de 500 000 m³ (de 2,5 M à 2 M de m³).

 

La situation est radicalement différente en ce qui concerne les feuillus, pour lesquels le taux de prélèvement n’est que de 70 % dans l’ensemble de la forêt wallonne et descend à 48 % en forêt privée. Les feuillus wallons dorment en forêt en attendant des jours meilleurs. La question de l’approvisionnement ne s’en trouve cependant pas pour autant simplifiée. Ce qui est exploité quitte le plus souvent la Wallonie pour la grande exportation, sans valorisation préalable. Les scieurs, qui ont de grandes difficultés à aligner leurs tarifs sur ceux des traders, continuent donc de réclamer du bois à hauts cris. Étrangement, alors que le marché des feuillus se redresse et entraîne les prix à la hausse, leurs appels restent sans écho…

 

À la lumière de ce qui vient d’être dit, la question initialement posée paraît admettre une réponse immédiate. Des difficultés d’approvisionnement pourraient empêcher la filière wallonne du bois d’exploiter son potentiel de développement. La forêt privée sera donc un moteur économique dès lors que les propriétaires privés agiront sur ces difficultés en récoltant plus de feuillus et moins de résineux, et en plantant plus de résineux. Hélas, bien sûr, une telle façon de répondre serait réductrice. La forêt privée ne peut réellement prétendre être un moteur économique que si elle se montre capable d’anticiper et d’éviter que la situation de l’approvisionnement ne se dégrade comme elle s’est dégradée en Wallonie. Ce n’est imaginable que moyennant une évolution du rapport qu’à généralement le propriétaire privé avec sa forêt.

 

Il faudrait que le propriétaire s’imprègne davantage de la notion de filière. La forêt ne doit pas être considérée comme une fin en soi. Elle doit aussi être vue comme la source d’une activité économique génératrice de richesses et d’emplois. À l’heure actuelle, le propriétaire forestier est peut-être plus soucieux de conduire une forêt, d’élever des arbres que de fabriquer du bois et de produire ainsi une matière première à haut potentiel économique. Beaucoup de forestiers accueillent cette réflexion avec scepticisme. Ils lui opposent le même contre-argument : comment leurs choix pourraient-ils être déterminés par des éléments relatifs à la valorisation du bois puisqu’entre le moment où ils prennent une décision susceptible d’affecter les caractéristiques du bois produit et celui où ce bois arrive sur le marché, s’écoule un temps généralement suffisant pour que les techniques de transformation et les modes de consommation du bois aient changé ? Autrement dit, pour se soucier des caractéristiques du bois produit, il faudrait s’appuyer sur des prospectives à des échéances qui rendent les prospectives déraisonnables. Il s’agit d’une question fondamentale qui mériterait de nombreux développements et dont il n’est pas possible de traiter ici. Il faut néanmoins souligner que ce contre-argument n’est que très partiellement fondé. D’abord parce que le propriétaire forestier peut préparer l’avenir commercial de son produit, notamment en veillant à adapter l’environnement normatif et réglementaire et en participant à une éducation du marché, ce qui requiert un temps considérable. Ensuite et surtout parce que le propriétaire forestier sous-estime généralement la part qu’il peut prendre dans le bon écoulement du bois produit par les générations qui l’ont précédé. La disparition des marchés du hêtre, par exemple, n’est pas une fatalité.

 

Pour en revenir à l’approvisionnement, le propriétaire devrait, dans une logique de filière, s’enquérir des besoins des entreprises transformatrices qui, sans garanties quant à la disponibilité de la matière première, ne peuvent valablement établir de stratégie de développement. Ceci ne signifie pas pour autant qu’il doit se soumettre à toutes les exigences des transformateurs en répondant à des fluctuations de marché ; il ne doit le faire, précisément, que dans la mesure où il ne compromet pas sa capacité de production à long terme.

 

Le concept de chaîne de valeur tel que l’a introduit Michael Porter[2] donne un surcroît de sens à cette façon d’envisager le rôle du propriétaire forestier privé. La chaîne de valeur peut être définie comme l’ensemble des activités que l’entreprise développe pour se doter d’un avantage concurrentiel. La filière bois n’est pas une entreprise dans l’acception ordinaire du terme, mais dans sa globalité, elle peut être considérée comme une méta-entreprise de fabrication de produits en bois ou à base de bois. Dans cette méta-entreprise, le propriétaire/sylviculteur devient le responsable des approvisionnements en matières premières et le caractère déterminant de son influence sur la compétitivité de la filière apparaît clairement. 


[1] En d’autres termes, l’épicéa est remplacé par un autre résineux (ou par un mélange épicéas-douglas) dans 42 % des cas (75 – 33).

[2] Ingénieur, économiste, professeur à la Harvard Business School, Michael Porter a joué un rôle clef dans l’apparition et le développement des nouvelles stratégies d’entreprises. La notion de chaîne de valeur est présentée dans Competitive Advantage (Free Press, 1985 - L’avantage concurrentiel, Dunod, 2003).

Emmanuel Defays, Directeur général de l'OEWB

Résumé de la conférence NTF organisée par NTF le 25 octobre 2016 : La forêt privée wallonne : moteur économique et apports socio-environnementaux