La Réforme du Bail à Ferme

Dernière mise à jour le 26 Jul. 2018

Bâtiment de ferme

 « Si la réforme sur le bail à ferme ne cible pas les vrais problèmes, elle continuera à faire disparaître les exploitations familiales.»

 

Les agriculteurs et leurs représentants défendent une position protectionniste de la loi sur le bail à ferme, sans pour autant prendre vraiment conscience des causes du ras-le-bol généralisé des bailleurs. La fragilisation économique des exploitations agricoles explique certainement en partie cette frilosité. Mais, sur le fond, la maîtrise du foncier agricole, même en location, est entièrement dans les mains des exploitants vu le caractère perpétuel de la majorité des baux. Les bailleurs se trouvent à ce point dépossédés de leurs terres qu’ils s’orientent vers d’autres modèles d’occupation ou d’exploitation dès que leurs terres se libèrent. A terme, ces choix peuvent venir modifier profondément le modèle de notre agriculture.

Aujourd’hui, contrairement à l’idée reçue des grandes propriétés terriennes, le profil de la propriété privée agricole est un morcellement en de petites propriétés détenues par une multitude de propriétaires détenant en moyenne moins de 2ha, parfois très éloignés de la vie de la campagne, même si la toute grande majorité des propriétaires est sensible à la cause agricole. Ce qui préoccupe les propriétaires est, à juste titre, le souhait de préserver leur capital foncier comme caisse d’épargne pour eux et leurs descendants, ce qui implique de pouvoir la mobiliser, en cas de besoin, à sa juste valeur. C’est cette priorité que défend NTF.

Néanmoins, la solution à la crise foncière est loin de se résoudre par (ou « de se trouver dans »)  la seule remotivation des bailleurs vis-à-vis du bail à ferme. Le sur-protectionnisme de la loi sur le bail à ferme est devenu à ce point toxique qu’il préjudicie aujourd’hui de nombreux agriculteurs et donc l’agriculture en général.

« Les agriculteurs doivent prendre conscience que l’ennemi du bail à ferme n’est pas le bailleur mais que certaines règles sont mal adaptées à la réalité actuelle et jouent contre eux. »

 

  1. Le seul motif concret possible aujourd’hui pour mettre fin au bail est l’exploitation personnelle : ce qui rend les terres agricoles à vendre attractives uniquement aux agriculteurs déjà établis et ayant les moyens (les propriétaires non agriculteurs n’ont pas intérêt à acheter une terre sous bail) : ceux-ci peuvent alors licencier les preneurs qui n’ont pas su exercer leur droit de préemption et évitent ensuite le bail à ferme en signant des contrats annuels. Ils fragilisent donc les exploitations agricoles.
  2. L’obligation du caractère prépondérant d’une activité agricole pour pouvoir justifier l’exploitation personnelle ne permet pas l’installation de nouveaux agriculteurs qui ne sont pas issus du milieu : l’agriculture multiple ne se développe pas au profit d’une agriculture industrielle unique et le faible taux de reprise des exploitations existantes ne reçoit pas de réponse alternative.
  3. Les agriculteurs arrivés à l’âge de la pension conservent parfois leur bail sans l’exploiter eux-mêmes et sous-louent la terre aux jeunes moyennant un fermage supérieur au fermage légal qu’ils paient au bailleur.
  4. Les cessions privilégiées et sous-locations/échanges sont utilisées abusivement au profit d’agriculteurs qui n’en sont pas ou pour éviter le seuil de superficie maximale (par la cession à une société agricole) : les terres sont de moins en moins exploitées par de vraies exploitations familiales qui ont un savoir-faire (cession à une cousine infirmière qui n’est pas agricultrice) ou les terres sont affectées à d’autres usages non agricoles (location pour chevaux).
  5. Et le système est tellement bien fait pour les preneurs en place qu’ils n’ont donc aucun intérêt à vouloir modifier la loi sur le bail à ferme puisqu’en plus, cette perpétuité est à moindre prix. Les baux de longue durée ont en effet un fermage proportionnellement plus élevé et ils prévoient une fin certaine.

Ces pratiques sont malheureusement individualistes et profitent à certains agriculteurs mais sont nuisibles à l’agriculture dans son ensemble. En effet, en réaction à ces abus, l’objectif du propriétaire d’une terre qui se libère est tout simplement devenu d’éviter le bail à ferme. 

La perpétuité de fait (le bail à ferme se transmettant de « père en fils »), couplée à l’impossibilité de mettre un terme au contrat et le désintérêt des preneurs à signer un bail de longue durée entraînent un effet de rareté de mise à disposition de terres libres (tant pour la vente que pour la relocation), créant de ce fait une valeur surfaite des terres libres. Or les dommages collatéraux de cette rareté ne sont pas que la fuite des propriétaires pour d’autres investissements mais aussi et surtout, l’inaccessibilité des jeunes candidats au métier d’agriculteur, qui plus est, à titre principal. 

Il en ressort que la réforme de la loi sur le bail à ferme ne peut se contenter de mettre des incitants fiscaux pour pousser le bailleur à signer des baux de longue durée pour les quelques hectares par an de terres libres de bail. Et cela d’autant plus si, de toute façon, le bail de durée de droit commun reste aussi déséquilibré au détriment du bailleur à toutes les étapes de sa vie.

La réforme doit conduire à une refonte complète d’un cadre contractuel devenu totalement obsolète et ne répondant plus aux objectifs légitimes qui avaient mené le législateur à le définir 30 ans auparavant. Le monde a changé et le monde agricole (dont les bailleurs font partie intégrante) a le devoir de s’adapter. Il nous faut définir un cadre nouveau et responsabilisant dans lequel bailleur et preneur disposent de droits et devoirs équilibrés. Les bailleurs ne se contenteront pas d’un simple lifting de la loi actuelle.

Il est donc d’intérêt public pour l’avenir de l’agriculture que la réforme du bail à ferme passe aussi par le recadrage des droits et des obligations du preneur.


« Il n’y a pas que les propriétaires qu’il faut remotiver, il faut aussi régler le problème de génération entre les agriculteurs eux-mêmes. »


NTF revendique

  1. La fin de la perpétuité. Une durée de bail précise, contractuellement choisie par les deux parties, et une rémunération plus équitable (loyer et incitants fiscaux) proportionnelle à la durée réelle de l’engagement.
  2. la majoration des fermages en fonction de la période du bail de durée de droit commun
  3. une loi cadre et non impérative (à l’image du bail commercial) 
  4. un bail écrit obligatoire
  5. un bail de courte durée pour des cas précis
  6. un bail de carrière plus accessible en fonction de l’âge du preneur
  7. la possibilité réelle de mettre fin au bail pour exploitation personnelle
  8. la possibilité réelle et automatique de mettre fin au bail lorsque le preneur atteint l’âge de la pension
  9. la fin des sous-locations et des cessions illégales
  10. l’objectivation de la cession privilégiée vers un vrai agriculteur, à titre principal et diplômé
  11. la résolution de plein droit dans des cas clairement identifiés de rupture de confiance
  12. un droit de préemption limité en fonction de l’âge et sans cession
  13. la suspension de la cession privilégiée en cas de déclaration d’intention de vendre
  14. la possibilité de négocier des clauses particulières (clauses environnementales). 

 

Icône PDF Téléchargez ici l'article paru dans Ma Terre, Mes Bois n°13, de juillet 2018 : Trop tard pour le bail à ferme ? , rédigé par Séverine Van Waeyenberge  

Fichier Téléchargez ici l'article paru dans Ma Terre, mes Bois n°9 de juillet 2017rédigé par Séverine Van Waeyenberge