Investir dans la terre ?

Dernière mise à jour le 8 Nov. 2016

Edouard Nève de Mévergnies, fraichement diplomé de l'ICHEC, s'est penché sur cette question dans la rédaction de son mémoire, devenu un livre publié sur Amazon.

Investir dans la terre, par Edouard Nève de Mévergnies
Lorsque les bourses s'affolent, lorsque la baisse des taux d'intérêt fait perdre tout… intérêt à un certain nombre de placements traditionnels, lorsque la hausse de l'immobilier fait craindre qu'en Belgique, à l'image d'autres pays, une bulle se soit formée, susceptible d'éclater un jour ou l'autre, lorsque le prix de l'or, traditionnelle valeur-refuge, connaît des oscillations importantes, on peut se poser la question : et pourquoi ne pas investir dans des terres agricoles ?

Ces dernières années, les médias ont quelque peu attiré l'attention du public sur la question : tel article évoque des investissements réalisés par le célèbre financier Albert Frère dans des terrains agricoles[1], tandis que telle émission connue de la RTBF consacrée à la défense des intérêts des consommateurs n'hésite pas à décrire le placement agricole comme particulièrement alléchant[2]

L'investissement foncier agricole constitue en effet une piste possible pour l'investisseur. Mais ce type d'investissement présente des spécificités fortes et s'inscrit dans un contexte particulièrement complexe, dans un secteur en mutation profonde, et parfois même en crise.

Il s'agit donc d'examiner les différents facteurs qui déterminent l'évolution de la valeur des terres agricoles en Belgique et plus particulièrement en Wallonie. Nous ne pouvons  évidemment pas ignorer non plus l'impact des changements à une échelle plus vaste, notamment l'évolution de la démographie mondiale, le poids grandissant de la concurrence internationale,  ou encore, le rôle joué par les mutations considérables de la politique agricole commune (PAC). Enfin, d'autres aspects doivent être intégrés à l’analyse : le cadre juridique, les conditions fiscales, mais aussi la dégradation des sols ou la rareté des terrains.

 

1. Évolution démographique mondiale et évolution des prix des terrains agricoles.

Chacun sait que la population mondiale continue de croître rapidement. Dans ce contexte, il serait envisageable de tenir le discours suivant : l’offre mondiale de produits alimentaires agricoles, et notamment de céréales, ne répondra pas à l'augmentation de la demande générée par la croissance de la population mondiale. Ce décalage entre l'offre et la demande aura pour conséquence une augmentation du prix des produits alimentaires concernés, augmentation qui à son tour entraînera une hausse du prix des terres agricoles.  Mais est-ce si simple ?

La finalité première de l'agriculture ayant toujours été de nourrir les populations, l'évolution de la population mondiale constitue une donnée essentielle s'agissant de l'avenir de l'agriculture. Or, selon une étude dirigée par les Nations Unies, la population mondiale augmenterait de près de 1 milliard d'habitants (+12,5%) en 12 ans et de 2,4 milliards (+33%) en 37 ans (OCDE et FAO, 2014). L'augmentation démographique est observée presque exclusivement dans les pays en développement et plus particulièrement en Afrique, où la population,  ferait plus que doubler en 37 ans, passant de 1,1 milliard aujourd'hui à 2,4 milliards en 2050, pour atteindre 4,2 milliards d'habitants d'ici 2100. (ONU, 2013).

S'il y a davantage de bouches à nourrir, cette augmentation ne concerne donc pas toutes les régions du monde dans les mêmes proportions. L'agriculteur belge, de ce point de vue, ne se trouve pas dans la même situation que son homologue d'un pays à forte croissance démographique. Il ne peut pas vraiment tabler sur une augmentation «naturelle» du nombre des consommateurs locaux. L'augmentation de la population dans d'autres régions du monde le concerne néanmoins, s'il exporte une partie de sa production vers ces régions mais aussi parce que l'augmentation de la population mondiale a un impact sur les prix mondiaux, ce qui à son tour a des conséquences pour notre agriculteur belge.

 

Quant à la question, encore plus fondamentale, de la capacité de la planète à nourrir ces populations toujours plus nombreuses, elle a, depuis Malthus au moins, fait couler beaucoup d'encre et donné lieu à des thèses divergentes. Il serait tentant d'affirmer que l'augmentation de la demande mondiale générée par cet accroissement de la population devrait mécaniquement entraîner, en vertu de la loi de l'offre et de la demande, une augmentation sensible des prix agricoles et donc des revenus des agriculteurs, ce qui dans la perspective de l'investissement dans le foncier agricole constituerait un scénario alléchant.

Mais ce scénario ignore, d’une part, l'impact considérable de l'amélioration constante de la productivité que permet le développement technologique (surtout dans les pays en voie de développement), et d’autre part, dans une plus grande mesure, celui de l'augmentation considérable de la surface agricole utile [3](SAU), notamment sur le continent africain.  À cet égard, le rapport détaillé établi par l’ONU avec l’aide de la Food and Agriculture Organisation (FAO) va clairement dans le sens du rejet d'un tel scénario (ONU, 2014).[4]

 

2. La situation en Belgique

Est-il opportun d'investir dans le secteur foncier agricole en Belgique et, plus précisément encore, en Wallonie ? Avant de répondre à cette question, il convient de fournir  un certain nombre de données fondamentales concernant la SAU en Belgique et son évolution, l'évolution du nombre des exploitants et l'évolution du nombre d'exploitants par rapport à la SAU. Par ailleurs, les caractéristiques naturelles des différentes régions agricoles belges constituent également des éléments déterminants dans l'analyse.

La surface agricole utile connaît une baisse constante, mais de faible intensité. En revanche, le nombre d’exploitations a diminué de 66.14% entre 1980 et 2012, et cette baisse a eu tendance à s'intensifier les dernières années. Elle va donc de pair avec une hausse de la taille moyenne des exploitations : en Wallonie, elle est passée de 20,8 hectares en 1980 à 53,56 hectares en 2012. (+ 157,5% en 32 ans). Le nombre de travailleurs a aussi fortement diminué : - 59,17 % entre 1980 et 2012.. Mais la part de la population vivant dans les régions agricoles n'a pas baissé dans les mêmes proportions. Au cours des dernières décennies, une tendance nouvelle est apparue : la périurbanisation (Anderson, 2008). Ce terme désigne un mouvement de la population citadine vers les campagnes proches des villes. Ce phénomène s'explique notamment par le développement des moyens de transport. Une proportion grandissante de la population européenne travaille en ville mais a préféré habiter dans une zone périurbaine où elle cohabite, de manière parfois difficile, avec la population agricole. Ce phénomène est considéré comme un des facteurs de la montée des prix des terres agricoles qui caractérise davantage les zones proches des villes. Cependant, le poids extrêmement important des agriculteurs parmi les acheteurs de terre dans les régions rurales fait que ce phénomène ne peut qu'avoir une incidence limitée sur ce niveau des prix (Anderson, 2008).

Par ailleurs, et même si la Belgique et la Wallonie sont peu étendues, il existe des différences importantes dans les caractéristiques agronomiques des différentes régions agricoles qui les composent, et qui se traduisent par des écarts dans les prix des terres, mais surtout du fermage. Le prix des terres dépend en effet en partie de la qualité de la terre, mais aussi et surtout d'autres facteurs. En revanche, le prix moyen du fermage reflète davantage la qualité de la terre.

Ces données de base étant posées, nous examinerons, dans un prochain numéro de "Ma terre, mes bois ...", les terres agricoles dans une perspective d'investissement.


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     Edouard Nève de Mévergnies

 

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[3]SAU : Surface Agricole Utile : surface agricole exploitée et déclarée par les agriculteurs

[4] OCDE/Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (2014). Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2014-2023, Edition OCDE. Récupéré de http://dx.doi.org/10.1787/agr_outlook-2014-fr