L'expertise juridique, un enjeu stratégique !

Dernière mise à jour le 4 Aug. 2015

COnférence S. Van Waeyenberge à l'AG de NTF 2015
Introduction

Le Droit a la réputation d’être une matière complexe et obscure au point d’être fui par la plupart sans trop savoir en quoi cela consiste. Le droit se définit comme un ensemble de règles communes au sein d’un groupe social et comme une science qui les étudie ; ce qui sous-entend le paradoxe angoissant de devoir les connaître (« nul n’est censé ignorer la loi ») et d’avoir besoin d’un spécialiste pour les comprendre. Le métier de juriste est lui aussi peu ou mal compris. On l’assimile souvent à un avocat ou à un notaire alors qu’il s’agit de professions bien distinctes. Ils ont cependant en commun la réputation d’être des personnes rigoureuses, c’est-à-dire précises, exigeantes, qui tiennent un discours désagréable, annonciateur d’ennuis. On parle également d’expertise juridique pour désigner une aide à la décision lorsque les éléments sont hors de portée des décideurs. Dans ce cas, on s’attend à ce que l’expert-juriste fasse preuve de rapidité et de créativité pour apporter des solutions. Enfin, ne dit-on pas souvent que l’on consulte un juriste comme on consulte un médecin, ce qui sous-entend l’idée d’un diagnostic individuel et de solutions personnalisées.

Face à la complexité juridique croissante des dossiers de prédilection de NTF et à l’augmentation des demandes d’information des membres relatives à des matières légales, NTF ne pouvait pas  poursuivre ses objectifs de promotion de la propriété privée sans accroître le professionnalisme de ses compétences internes sur le plan juridique. C’est pourquoi Le Conseil d’Administration a fait le choix en cette année 2015 d’engager Madame Séverine Van Waeyenberge, juriste spécialisée en droit rural. Par cette décision, NTF est désormais doté 1/ d’une aide à la décision qui vient compléter les compétences internes existantes et surtout, 2/ d’un service de consultation à la disposition de ses membres.

 

  1. Aide à la décision

Pour pouvoir se faire entendre auprès des autorités politiques et obtenir des revendications, il est important de bien connaître l’organisation de notre Société. Depuis la Révolution française, notre Société démocratique fonde sa légitimité et son fonctionnement sur la séparation des pouvoirs. Il n’est en effet plus question d’un autocrate qui à la fois édicte des lois, décide comment il les applique et sanctionne leur non-respect. Aujourd’hui, le législateur (le Parlement wallon) adopte des décrets, le pouvoir exécutif (via le Gouvernement wallon et les Ministres) exécutent ces décrets par des arrêtés d’exécution et le pouvoir judiciaire (les Cours et les Tribunaux) est le seul à pouvoir trancher les conflits (civil), sanctionner (pénal) ou contrôler le respect des libertés fondamentales (Conseil d’Etat, Cour constitutionnelle). A cela s’ajoute d’autres niveaux de pouvoir, l’organisation de l’Union européenne est en effet elle-même divisée en trois par le Parlement européen qui prend des Directives et des Règlements, la Commission européenne et, la Cour de Justice de l’Union européenne ainsi que la Cour européenne des Droits de l’Homme. Dans chacun de ces cénacles, une vie à part entière se déroule avec ses propres règles de fonctionnement. Si la presse relate les évènements qui régulent la vie du Parlement wallon ou des Cabinets ministériels, le rôle du conseiller juridique est de se tenir au courant de ce qui les préoccupe. Il s’informe des textes de loi en préparation, des controverses qui tournent autour et, tente de savoir si les intérêts de celui pour qui il travaille sont pris en considération.  Plus qu’un observateur averti, il doit pouvoir anticiper les moments opportuns pour avertir son organe de décision de lancer son action et auprès de qui il aura le plus de chance de se faire entendre. Mieux, le juriste tient compte de toute l’évolution de la doctrine juridique (càd de l’ensemble des opinions des juristes sur une matière) et de la jurisprudence (càd des décisions de justice déjà tombées sur une matière) pour mettre en exergue ce qu’il est possible de faire ou ce qui ne peut être qu’un rêve impossible. Il n’est pas rare en effet que les décideurs viennent avec des projets qui répondent certes à des attentes de la Société mais ne respectent pas d’office tous les principes de droit fondamentaux, …faute d’avoir été bien conseillés.

A titre d’illustration,

Natura 2000 fait l’objet depuis longtemps de nombreuses controverses et dernièrement, la presse a relaté plusieurs évènements. D’une part, plusieurs Etats membres ont dénoncé au Parlement européen la trop grande sévérité des deux Directives Habitats et Oiseaux. D’autre part, la Commission européenne a reproché à la Région wallonne de ne pas avoir mis suffisamment de mesures préventives pour préserver les sites Natura. Cependant, aucune presse n’a relayé une décision très intéressante de la Cour de Justice de l’Union européenne. Celle-ci a précisé, à l’occasion d’une affaire d’extension d’un aéroport en Italie (CJUE, 3 avril 2014, aff.C-301/12, Cascina TRe Pini Ss), que si les qualités d’un site Natura disparaissent définitivement, le maintien des restrictions à l’usage de ce site pourrait conduire à une violation du droit de la propriété, à moins de prévoir une procédure de déclassement à l’initiative du propriétaire. Pour le juriste, l’intérêt de cette décision n’étant pas de polémiquer sur les éléments et leurs preuves qui font disparaître les qualités d’un site Natura, elle rappelle surtout tant aux législateurs qu’aux pouvoirs exécutifs qu’eux-mêmes ont des limites à respecter. Et si en plus, il met cette décision en contraste avec les autres évènements récents, il y percevra des tensions présageant peut-être un assouplissement de toute la machine Natura 2000. Libre ensuite à chacun de saisir les opportunités qu’il y voit…

 

   2. Service de consultation juridique

Alors que le premier rôle de l’avocat est de défendre une cause devant un tribunal, l’objectif d’un service de consultation juridique va se situer davantage en amont d’un problème, peut-être même encore inexistant. Il doit pouvoir a. informer, b. conseiller, au besoin c. négocier.

 

a. L’information : prévention

La première utilité d’un tel service consiste à fournir une information censée empêcher ou limiter l’apparition de soucis ultérieurs. Il est un premier point de contact avec le droit. S’il ne faut pas être juriste pour donner des informations juridiques en revanche, le juriste analyse une question non pas générale, mais compte tenu des circonstances qui entourent la question du consultant. Son diagnostic va permettre de reformuler la question de manière à pouvoir répondre véritablement aux attentes de ce dernier. Par exemple, un héritier, dentiste, se renseigne comment louer sa terre sans tomber sous la loi sur le bail à ferme et se voit suggérer par un quidam qu’il peut signer un contrat de vente d’herbe. Quelques années plus tard, il se voit pourtant opposer une décision de justice qui reconnaît dans ce contrat de vente d’herbe signé par les deux parties qu’il s’agit bel et bien d’un bail à ferme. Que s’est-il passé entretemps ? A-t-il reçu une mauvaise information juridique ? Non, un contrat de vente d’herbe n’est en effet pas un contrat de bail à ferme. Mais, la consultation d’un juriste ad hoc lui aurait permis de savoir que ce contrat de vente d’herbe n’était pas la solution pour son cas personnel. En effet, pour ne pas être un bail à ferme, un contrat de vente d’herbe ne peut être conclu que par un propriétaire lui-même agriculteur, ce qu’il n’était pas.

 

b. Le conseil : orientations

Le juriste est également en mesure d’éclairer le consultant sur les possibilités juridiques qui s’offrent à lui. Souvent, devant un problème juridique, on pense que le recours devant la Justice est la seule solution. Pire, le problème ne ressemble parfois qu’à une grosse boule de nœuds dont on ne sait plus sur quel fil tirer. La consultation d’un juriste peut alors être salvatrice parce qu’il est en mesure de décortiquer le problème afin de faire apparaître différents scénarii de réponses.

Par exemple, après avoir acheté un bien, un propriétaire reçoit un courrier de l’Administration l’avertissant que des constructions ont été faites sans permis d’urbanisme. Ce courrier est incompréhensible : on y parle d’amende, de remise en état, d’un droit à introduire un recours, même des peines de prison sont possibles. Il en parle alors autour de lui, c’est encore pire : soit c’est la fin du monde soit, on lui dit de laisser dormir le problème. En consultant un juriste, il apprendra qu’un bien construit sans permis est bel et bien une infraction qui en plus suit le bien et non la personne. Il ne sera toujours pas rassuré de savoir qu’il est donc responsable de cette infraction et comme en plus elle ne se prescrit pas dans le temps, il doit faire le nécessaire pour l’élimer sous peine de dévaluer son bien. Mais selon les cas, le juriste appréciera s’il est possible de proposer à l’administration et sans trop de frais des aménagements, de démolir une partie seulement ou peut-être encore, de demander le report de la démolition. Dans d’autres cas, la solution sera de payer une amende en guise de régularisation, le montant pourra être négocié avec l’administration ou si on n’est vraiment pas d’accord, le juriste renverra le consultant auprès d’un avocat pour critiquer en justice la disproportion de la sanction. Dans d’autres cas encore, il le renverra devant son notaire pour activer l’annulation de la vente, légalement prévue.

Le juriste aura donc montré quelles orientations sont envisageables, il l’aura éclairé sur ses droits et devoirs.

 

c. La négociation : solutions

Dans certains cas, il est peut-être difficile pour le consultant de repartir avec ses informations et orientations et de se débrouiller seul. Il est possible en effet d’être dans une situation où l’on ressent le besoin de se faire accompagner par le juriste pour résoudre cette fois des conflits bel et bien existants. Le juriste est alors en mesure de fournir un accompagnement plus individuel du consultant. Cela peut aller du simple courrier, à l’élaboration d’un contrat particulier, voire à la participation à des entrevues ou des réunions.

Par exemple, dans la problématique de la réouverture des chemins et des sentiers, il n’est pas rare qu’un propriétaire se voit sommé par la commune de supprimer les obstacles au passage. Face à ses représentants communaux, le propriétaire est motivé par la légitimité qu’il donne à cette autorité locale et par le souci d’une bonne entente mais, souhaite pourtant faire valoir ses droits. En effet, NTF a relevé à de nombreuses reprises que la législation sur le vicinal est mal comprise, y compris par les communes. Les expériences d’une entrevue du juriste avec la commune ont déjà démontré qu’elle pouvait suffire à débloquer des solutions sans devoir passer systématiquement par des jugements lents et chers pour tout le monde.

Le consultant prendra garde également à ne signer aucun document à consonance juridique sans vérification par un service ad hoc. Par exemple, alors que NTF élabore une convention-type de servitude de passage conventionnelle entre le propriétaire et la commune, circulent dans la campagne des contrats similaires à l’apparence de bonne foi pourtant très approximatifs, certains allant même, par une tournure de phrase obscure, à faire reconnaître au propriétaire l’existence d’un chemin vicinal pourtant éteint et ce, sans qu’il ne s’en rende compte.

Ce dernier exemple démontre l’importance de connaître ses droits et devoirs en tant que propriétaires de biens ruraux et forestiers et l’importance de pouvoir disposer d’un service juridique spécialisé en la matière.

 

Conclusion

Ce qui nous permet de conclure que l’utilité d’un tel service dépend également de l’importance que chaque membre de NTF y portera en acceptant non seulement que sa qualité requiert sa prestation payante et que son savoir-faire soit alimenté par un retour d’expériences de chacun. Ce même retour démontrera par la même occasion tout l’intérêt fédérateur d’une association comme NTF.